Alexandre Denuelle (1818-1881), Projet pour la rénovation de l'église Notre-Dame de Bordeaux, exécutée entre 1870 et 1874.

 

Crayon, plume et aquarelle sur papier. H : 38 cm. L : 35 cm.
Inscriptions à la plume, sous le dessin :
- Au centre : Eglise NOTRE DAME DE BORDEAUX.
- A droite : signature Adre Denuelle.
- A gauche, au-dessus d'une graduation : 0,015 pour mètre puis Echelle 0,015 P. mètre.
- Entre ces deux mentions : cachet d'atelier ovale à l'encre bleue portant, au-dessus d'une étoile, la mention  A. DENUELLE PEINTRE
Inscriptions à la plume sur le dessin :
- A l'emplacement des peintures : Peintures d'histoire.
- Le long de l'arc doubleau, à la verticale : voûte développée.
Don de l'Association des Amis du musée d'Aquitaine en 1998.

 

Inv. 98.1.6

 

© mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier
© mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier

Entré dans l'atelier de Bin en 1838, Alexandre Denuelle participe à la décoration des plafonds des salles des Croisades à Versailles puis continue sa formation dans l'atelier de l'architecte Duban. Il y étudie l'architecture et plus particulièrement les rapports architecture-décoration, fréquentant en même temps l'atelier de Paul Delaroche. A la fin de l'année 1842, il part pour trois ans en Italie avant de revenir s'installer à Paris. En 1947, il décore une chapelle absidiale de l'église Saint-Merry, premier de ses nombreux travaux à Paris et en Province. Parallèlement, il accompagne Viollet-le-Duc dans plusieurs voyages en tant qu'artiste attaché à la Commission des Monuments Historiques. C'est pour cette commission, créée en 1830 et dont Prosper Mérimée, succédant à Ludovic Vitet en 1834, sera l'Inspecteur Général, qu'il effectuera des relevés de peintures murales d'églises et de palais français et italiens. A Bordeaux, il dessine les fresques de l'oratoire de Veyrines en 1853 avant de travailler à la cathédrale Saint-André en 1860 et à l'église Notre-Dame en 1870.

Il effectue ses premiers travaux de décoration avec le peintre Savinien Petit (1815-1878) à la cathédrale Saint-André lors du réaménagement des chapelles de Notre-Dame du Mont Carmel et de Saint-Joseph en 1860-1867, réalisant les éléments décoratifs des fresques murales pendant que Savinien Petit exécute les figures.

Vue de Notre-Dame avant la restauration de 1972 © Hélio Vigier.
Vue de Notre-Dame avant la restauration de 1972 © Hélio Vigier.

Quelques années plus tard, il entreprend la décoration de l'abside de Notre-Dame. Construite par les Dominicains entre 1684 et 1707, l'église avait été peinte en 1834-1836 par Gigun et Ciceri de motifs en trompe-l’œil : caissons sur la voûte de la nef, anges sur les arcs de pénétration des lunettes ou sur les arcades. A la voûte de l'abside figuraient l'Assomption de la Vierge, Saint Joseph et Saint Jean-Baptiste et, en-dessous, encadrant l'Annonciation de frère André, deux groupes représentant l'apothéose de deux saints et portant la signature Vaflard de Paris, 1834.

 

En 1870, à la suite de travaux de maçonnerie sur la voûte, ces peintures sont enlevées et un nouveau décor est commandé à Alexandre Denuelle qui exécute les éléments décoratifs en collaboration avec Romain Cazes (1808-1881), élève d'Ingres, pour les tableaux d'histoire.

 

La voûte de l'abside, peinte à la cire, est achevée en 1873. Une esquisse conservée au musée de Montauban nous permet d'imaginer la composition centrale, la Vierge en gloire entourée de saints et d'anges. De part et d'autre, la procession des saintes et la procession des saints s'avancent vers la Vierge. Mais ces peintures, très dégradées par des infiltrations, ont disparu en 1972 lors de la restauration de l'édifice et ne nous sont plus connues que par les dessins préparatoires et quelques photographies anciennes.

 

En 1874, Romain Cazes exécute les peintures des murs de l'abside : la Lamentation encadrée par la Présentation de la Vierge au Temple et la Visitation. L'année suivante, il peint l'Assomption de la Vierge pour la chapelle Notre-Dame du Rosaire.

 

© Catherine Bonte
© Catherine Bonte

Ce dessin aquarellé est un projet  pour  la décoration du côté nord  de l'abside et de la nef pour laquelle Alexandre Denuelle propose deux solutions qu'il décline sur les deux premières arcades. Seule la première travée sera peinte.

 

Au-dessus des stalles disposées le long du mur de l'abside polygonale, un panneau couronné d'un angelot avec des guirlandes de feuilles présente un cartouche découpé néo-Renaissance dont le médaillon central rouge porte le A et le M de la salutation angélique Ave Maria. Un cadre en bois doré en trompe-l’œil, avec la mention manuscrite "peinture d'histoire", indique l'emplacement de la Visitation de Romain Cazes.

 

L'abside est couverte d'une voûte en cul-de-four à 5 pans. A l'intérieur d'un large cadre de bois doré à bandeau de laurier toré en trompe-l’œil, la procession des saints se détache sur le bleu intense du ciel. Avec les saintes qui lui font face, elle se dirige vers la Vierge à l'Enfant entourée de saint Michel, de saint Gabriel et d'anges musiciens. Deux anges tenant, l'un une épée, l'autre la couronne et la palme du martyre, guident le cortège. En tête marchent Anne et Joachim, les parents de la Vierge suivis de figures seulement esquissées dont certaines peuvent être identifiées grâce à leurs attributs : saint Joseph tenant un lys, saint Seurin mitré, saint Dominique de Guzman, fondateur de l'Ordre des Dominicains. Saint François d'Assise est à genoux, suivi de saint Pie V coiffé de la tiare papale et de Saint Louis couronné, tenant la relique de la couronne d'épines. Ce premier projet subira de profondes modifications dans la peinture définitive.

 

L'élévation de la nef est à deux étages. Entre les deux niveaux, la large corniche, soutenue par des modillons à feuilles d'acanthe, fait le tour de l'édifice. Elle sert de galerie de circulation (Denuelle n'a pas représenté le garde-corps en fer forgé) sur les côtés nord, est et sud, l'église ayant été édifiée avec une orientation inversée en raison de contraintes de voisinage.

 

Les grandes arcades, décorées d'une agrafe portant un M doré sur une fleur de lys, sont séparées par des pilastres à décor de faux marbre, couronnés de chapiteaux corinthiens. Sur les deux premiers, les croix de consécration sont dorées sur fond rouge et, sur le troisième, la croix se détache sur un fond blanc. Dans les écoinçons, soit de larges palmes blanches se déploient sur le fond rouge, soit un cartouche découpé reçoit un médaillon bleu portant le M marial.

 

© Catherine Bonte

L'entablement mouluré est décoré d'une frise de denticules et d'un chapelet sculpté, doré, témoin de la dévotion des Dominicains à la Vierge et de l'institution du rosaire. Au XVe   siècle, le bienheureux Alain de la Roche dans son De Dignitate Psalterii, a raconté  l'apparition de la Vierge à Saint Dominique pendant qu'il priait pour la conversion des albigeois et des pécheurs en l'an 1214 et la demande qu'elle fît au saint d’exhorter les hommes à la récitation de son Psautier pour la conversion des âmes (oraison mentale, méditation des principaux mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très Sainte Mère et oraison vocale avec la récitation de quatre chapelets de cinq mystères). Un tableau de Frère André daté de 1733 et placé à l'entrée de la chapelle Notre-Dame du Rosaire, rappelle cette vision.

 

En-dessous, sur un bandeau en léger relief, cerné d'un liseré rouge, une guirlande de fleurs de lys au feuillage abondant s'étire entre des médaillons de feuilles découpées, portant une croix dorée sur fond rouge. En son centre, sur un cuir découpé, un médaillon ovale rouge dont l'inscription, non visible sur le dessin mais lisible aujourd'hui dans l'église et se détachant sur un fond bleu, est une des litanies ou titres d'honneur donnés par les saints Pères à la Vierge : Regina Apostolorum, Reine des Apôtres. Dans le second projet, le bandeau est blanc, orné en son centre d'un motif losangé rouge décoré d'une fleur blanche et, au-dessus du chapiteau, le feuillage doré entoure un médaillon bleu à croix dorée sur fond blanc.

C'est le premier projet, plus chargé, qui est aujourd'hui conservé, avec quelques nuances, sur la première arcade dont l'ouverture laisse entrevoir une esquisse pour la décoration des bas-côtés, autour de l'emplacement réservé portant la mention "peinture d'histoire" et occupé actuellement par l'Annonciation de Frère André (1735)

© Catherine Bonte

Pour le niveau supérieur, là encore, Denuelle avait présenté deux projets.

 

La voûte en plein cintre porte un semi de motifs étoilés dorés et de motifs cruciformes qui se prolonge sur l'arc de pénétration de la lunette dans la seconde travée alors que, dans la première, l'amorce d'un motif circulaire est visible à son sommet.

Alternant avec les fenêtres hautes, les arcs doubleaux sont décorés de rais de cœurs, de petits panneaux à motif fleuri alternant avec de plus grands, décorés de rinceaux ou plus simplement d'un bleu uni.

Autour des fenêtres, entre une frise de feuilles de laurier et une frise d'oves dorée, un décor de médaillons et de draperies se détache sur le fond rouge qui, sur le projet le plus chargé, reçoit des cuirs découpés et des rinceaux. Dans ce dernier cas, l'arc de pénétration  dans la voûte présente le motif de la Tour de David entre deux palmettes. Ce titre de la Vierge, présent dans les litanies de Lorette, est ainsi commenté par Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) dans Le secret de Marie, § 47, "Elle (Marie) sera à l'âme la Tour de David pour s'y mettre en sûreté contre tous ses ennemis".

© Catherine Bonte

Des infiltrations dans la voûte de l'abside, couverte en pierre tendre, perméable et mal protégée par une toiture en ardoise vétuste, détériorèrent les peintures. En 1969, des travaux furent engagés. Il fut décidé de rétablir la couverture de pierre d'origine et de supprimer le doublage d'ardoise. Mais les accidents se multipliaient à l'intérieur de l'église et le mauvais état des maçonneries nécessita une restauration complète. Elle fut fermée de 1971 à 1981 et entièrement rénovée par les Monuments Historiques. Les peintures de la voûte absidiale et de l'étage supérieur de la première travée de la nef, très endommagées, disparurent lors de ces travaux pour laisser place à la pierre blonde  malheureusement mal appareillée.

 

C.B.

 

Bibliographie.

 

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Maisonnave, Jean-Philippe, Notre-Dame de Bordeaux, dossier IM33002115, Inventaire général du Patrimoine culturel d'Aquitaine, 1994.

 

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