François Bignon (1620-1671) graveur et Zacharie Heince (1611-1669) dessinateur d'après Philippe de Champaigne (1602-1674), Portrait de Blaise de Montluc (1502-1577), milieu du XVIIe siècle.
Burin, eau-forte , filigrané.
Dimensions : Feuille entière : H. 50,3 cm, L. 36,6 cm. A la cuvette : H. 41,7 cm, L. 29,7 cm.
Inscriptions :
Eloge, en haut : BLASIUS DE MONLUC POLEMARCHUS
Sub Fran°p°. Henr°2°. Fran°2°.Carolo 9°et Henr°3°. Multa praestitit, plura dixit. Meruit tamen Celebrari. Et Summis Viris Accenseri.
dédicace, en bas : Ductor erat bello spectatus et Impiger alter / Caesar, res etenim condidit Ipse suas / cum privilegio
Provenance : Collection Maronne. Don des Amis du musée d'Aquitaine en 2001
.

 

Inv. 2001.7.1

 

Cette gravure est l'une des 26 planches exécutées pour l'ouvrage de Marc de Vulson, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi, publié en 1650 sous l'égide du chancelier Seguier : Les Portraits des hommes illustres françois qui sont peints dans la galerie du Palais Cardinal de Richelieu, avec leurs principales actions, armes, devises et éloges latins, desseignez et gravez par les sieurs Heince et Bignon. Ensemble les abrégez historiques de leurs vies, composez par M. de Vulson, sieur de La Colombière.

 

Pour orner la galerie à la française de l'aile nord-ouest du palais qu'il se faisait bâtir rue Saint-Honoré, le cardinal de Richelieu avait commandé à Philippe de Champaigne et Simon Vouet les portraits des héros, ecclésiastiques et hommes de guerre qui, par leur courage ou leurs conseils, avaient fait la grandeur du royaume et dont Richelieu voulait apparaître comme l'héritier et le continuateur. Les huit portraits les plus anciens étaient exécutés par Vouet, de l'abbé Suger, Gaucher de Châtillon, Bertrand Du Guesclin...à Georges d'Amboise ; ceux de Jeanne d'Arc, Gaston de Foix, Blaise de Montluc...pour terminer avec celui de Louis XIII, soit dix-sept tableaux, étaient peints par Philippe de Champaigne. Ces portraits des grands serviteurs de la monarchie, réalisés entre 1630 et 1635, ont été dispersés lors de la destruction de la galerie en 1727 et quelques-uns sont conservés au Louvre, à Versailles et dans des châteaux privés ; le portrait de Blaise de Montluc serait dans la collection privée du duc de Montesquiou-Fezensac. Ce sont donc les gravures, exécutées par François Bignon et le dessinateur et graveur Zacharie Heince qui permettent de connaître la décoration de la galerie. Elles reproduisent fidèlement ces portraits à l'exception du fond. Dans le tableau de Montluc, l'arrière plan était orné d'une tenture. Autour des portraits peints, dans la large bordure à fond de lauriers, se succèdent les devises conçues par Jean Guisse et les scènes historiées, évoquant les actes mémorables des personnages, œuvres d'un élève de Vouet, Charles Poerson (1609-1667) et du flamand Juste d'Egmont (1601-1674). La localisation de la plupart de ces cent soixante-quinze petits tableaux est inconnue, à l'exception de cinq huiles sur bois conservées au musée des Beaux-Arts de Nantes.

 

Ce portrait d'apparat représente Blaise de Montluc en pied, portant le collier de l'ordre de Saint-Michel composé de coquilles d'or liées par des cordelières et auquel est appendue l'image de l'archange terrassant le dragon. Il porte un pourpoint boutonné jusqu'au col orné d'une fraise à la mode espagnole, des hauts-de-chausses plissés, des bas noirs, des chaussures à bout carré et à rubans. Les lourds plis de la cape posée sur l'épaule gauche épousent le mouvement du bras et la garde élégante de sa rapière apparaît sous sa main, fièrement appuyée sur la hanche. Sur son visage, deux points noirs indiquent l'emplacement de la terrible blessure reçue au siège de Rabastens mais seulement évoquée par cette convention picturale.

 

Sur le bandeau supérieur, un cartouche tenu par des rosaces en trompe-l’œil présente son éloge et son blason. Dans les marges latérales et inférieure, les tableaux représentant quelques épisodes des campagnes d'Italie et des guerres de religion alternent avec les devises explicitées par l'héraldiste Marc de Vulson de la Colombière.

 

Ses armes couronnées : écartelé au premier d'azur à un loup d'or, au quatrième d'azur à une louve d'or, au second et au troisième, d'or à un tourteau de gueules, sont entourées du collier de l'ordre de Saint-Michel et sont posées sur deux bâtons de maréchal en sautoir. En gravure, il est convenu de représenter : Azur (bleu) : hachures horizontales, Or (jaune) : semis de points, Gueules (rouge): hachures verticales. Ainsi, d'or à un tourteau de gueules est un disque rouge sur un fond jaune.

 

Blaise de Montluc est né dans la propriété familiale de Saint-Puy dans le Comté de Gaure donné par Charles d'Albret vers 1470 à son fidèle "Maistre d'Hostel" Pierre de Lasseran-Massencôme seigneur de Monluc, son arrière grand-père. Les Lasseran-Massencôme sont une branche de la famille de Montesquiou. A l'âge de neuf ans, il est envoyé à la Cour du duc Antoine de Lorraine où il devient page de la duchesse Renée de Bourbon-Montpensier. Dès qu'il est en âge de porter les armes, il prend part aux guerres d'Italie et se rend à Milan où il entre dans la Compagnie de Lescun. Désormais il servira fidèlement ses rois : François Ier, Henri II, François II, Charles IX et Henri III.

 

Bandeau gauche, de haut en bas :

 

La prise de Fontarabie.

 

Il participe à la défense de la ville occupée depuis peu par les français et assiégée par Philibert de Châlon, prince d'Orange, au service de l'Espagne. Dans ses mémoires, Montluc rend le neveu du connétable de Navarre, Dom Pedro de Navarre, responsable de la défaite du 27 février 1524 (Commen)

 

Devise : Durum sed digerit (Il est dur mais elle le digère).

 

Une autruche qui avale un morceau de fer.

 

Cette devise a un lien direct avec le tableau suivant. Montluc ne perd point courage au siège de Rabastens mais poursuit son attaque malgré sa blessure et emporte la place.

 

Le siège de Rabastens.

 

En juillet 1570, au siège de Rabastens, un coup d'arquebuse en plein visage lui emporte le nez mais il exhorte ses soldats à continuer à se battre. Le capitaine Moret le voyant blessé s'adresse aux assiégés qu'il connait pour beaucoup car il est natif de la ville et leur promet la vie sauve s'ils se rendent. Une fois à l'intérieur, les assiégeants les massacrent.

 

Cette blessure ne guérira jamais complètement et Montluc porta tout le reste de sa vie un masque de cuir lui cachant la moitié du visage.

 

Devise : Deo duce, Ferro comite (Dieu m'aidant, mon épée me seconde).

 

Une épée dressée.

 

C'est la devise propre de Montluc pour ses grands succès contre les ennemis du roi.

 

Batailles de Pavie, de la Bicoque et de Cerisolles.

Ses débuts lors de la campagne de 1522 sont difficiles avec la défaite de la Bicoque (du lieu-dit Bicocca, à quelques kilomètres de Milan) où les armées de François Ier, parti à la reconquête du Milanais, sont battues par celles de Charles Quint. Cependant il combat vaillamment.
Un an après il accompagne le roi à la bataille de Pavie où, fait prisonnier, il est relâché car sa famille est trop pauvre pour payer une rançon.
A l'issue du combat victorieux à Cérisoles (Piémont) le 11 avril 1544, Montluc est loué pour sa contribution décisive à la victoire par François de Bourbon, comte d'Enghien, qui le fait chevalier et lui donne l’accolade sur le champ de bataille.

Bandeau inférieur : La bataille de Basse Boulogne.

 

Le roi d'Angleterre Henri VIII, profitant des campagnes françaises en Italie du Nord, prend Boulogne en septembre 1544. La ville est aussitôt ré-assiégée par le dauphin, futur Henri II dont Montluc commande l'avant-garde mais l'indiscipline des soldats qui se livrent au pillage ruine l'assaut. Cependant, dans ses Commentaires, Montluc raconte que le roi le félicita car il avait été le dernier capitaine à sortir de la ville (I, livre II, p. 339).

 

Après la mort de François Ier en 1547, il sert le roi Henri II qui l'envoie secourir la ville de Sienne qui s'était révoltée contre les Impériaux et les avait chassés. Défendue par Montluc, sans secours et sans vivres, la ville se rend le 21 avril 1554 après un très long siège mais ce fait d'armes reste l'un des plus glorieux de sa carrière. Pour le remercier de son aide, Sienne lui octroie le droit de charger son écusson d'une louve, emblème de la ville.

 

Ainsi ses armes seront désormais : écartelé au premier d'azur à un loup d'or, au quatrième d'azur à une louve d'or, au second et au troisième, d'or à un tourteau de gueules (Commentaires, I, livre III, p. 435-468).

 

A son retour, le roi le reçoit dans l'ordre de Saint-Michel, ordre de chevalerie fondé par Louis XI, et lui donne une compagnie d'ordonnance (100 lances composées, chacune, d'un homme d'armes, d'un page, de trois archers et d'un coutelier, tous les 6 à cheval) ainsi qu'une pension.

 

Après la mort d'Henri II, Montluc est en Gascogne et assiste à la propagation de la Réforme dans le sud-ouest. Dès 1561, il prête main-forte au lieutenant général de Guyenne, Charles de Coucy, seigneur de Burie, devenant lui-même lieutenant général et vice-amiral de Guyenne à la mort de ce dernier en 1565.

 

Bandeau droit, de bas en haut :

 

Secours de Bordeaux.

 

 

 

En juillet 1562, Burie lui demande du secours car le baron de Duras avait conçu le plan habile d'empêcher le ravitaillement en blé de Bordeaux et y provoquer des troubles en tenant l'Entre-deux-Mers. Montluc lève le siège de Montauban et arrive le 11 juillet dans la ville menacée de famine: "Monsieur de Burie me dépécha Razé, son secrétaire, en poste, me priant que je le vinsse secourir car autrement la ville estoit perdue, et qu'il n'avoit aucunes forces avec luy ; et d'autre part qu'il n'y avoit un grain de blé dans la ville et estoient à la faim car les ennemys tenoient toute la rivière de Garonne et celle de Dourdoigne, qui sont les deux mamelles qui allaitent Bourdeaux, et qu'il y avoit longtemps qu'il n'estoit descendu un grain de blé audit Bourdeaux." (Commentaires, II, livre V, p.419). Le 15 juillet, près de Targon, il remportait un grand succès sur Duras et put se vanter d'avoir fait cesser la famine.

 

Devise : Proprios Ostendat Honores (Il fait parade de ses propres honneurs).

 

Un paon qui se mire dans sa queue.

 

Le paon se mire dans sa queue à cause de la beauté de son plumage parce que cela est justifié. Monluc a vanté ses belles actions mais il a eu raison de le faire parce qu'elles étaient héroïques (Marc de Vulson).

 

Prise de Monségur.

 

Le 31 juillet et le 1er août 1562, il assiège Monségur pour achever de rendre possible l'arrivée des blés à Bordeaux.

 

La représentation de la bataille est conforme à la description qu'il en fait dans ses Commentaires (II, livre V, p. 443-444): "La ville est petite mais bien forte de murailles (…) Nous l’assiégeasmes du costé de la tanerie où ils habillent les cuirs (....)Il y avoit une porte de la ville, laquelle ils avoient fermée de muraille, n’avoit guères, et avoient abatu le rasteau, lequel la muraille couvroit (…) Je fey les approches de nuict. Nostre artillerie feust mise sur un petit haut, vis à vis de la porte, à cent cinquante pas de ladite porte(…) A la clarté du feu je feust tirer à la dite porte cinq ou six coups de canon qui abatit toute ceste muraille neufve ( …) Je mande en dilligence au cappitaine Charry qu’il menast toutes les compagnies sans sonner tabourin ny faire aucun bruit. Et à leur arrivée les fy mettre le ventre à terre dernier l’artillerie et dis à Monsieur qu’il commençast à tirer (…)"

 

La prise de la ville est suivie d'un véritable massacre de la population. Si ses succès militaires lui permettent de rétablir l'ordre et une paix relative Montluc montre une férocité telle qu'on lui donne le surnom de "boucher royaliste".

 

Devise : Etiam post Funera Bellat (Il fait encore la guerre après la mort).

 

Un tambour fait d'une peau de loup et de celle d'une brebis.

 

Tandis que le loup est en vie il fait la guerre aux brebis et si de sa peau on fait un tambour après sa mort, il fera crever celle de la brebis lorsque l'on battra dessus.

 

Le maréchal a fait la guerre tant qu'il a vécu et a montré par ses Commentaires comment bien la faire encore après sa mort.

 

Lectoure, 1567.

 

En septembre il assiège Lectoure et obtient la reddition du capitaine Brémond d'Ars mais en 1567, les troubles sont sur le point de recommencer. Un consul de la ville l'informe de l'attitude suspecte de sénéchal d'Armagnac, Michel d'Astarac, baron de Fonterailles, gouverneur du château. Montluc s'y rend en toute hâte pour demander au sénéchal de se démettre de sa charge. Les armées protestantes arrivant devant la ville et constatant que leur plan est découvert, battent en retraite.

 

Une comparaison peut-être faite avec le petit tableau du siège de Saint-Omer par Gaucher de Châtillon qui entourait, avec cinq autres, le portrait de Gaucher de Châtillon par Vouet, aujourd’hui au Louvre. La composition construite sur une opposition entre les quelques personnages du premier plan et la scène de bataille rejetée dans le lointain est tout à fait similaire à celle des tableaux qui entourent Monluc.

 

Après la signature de la paix de Saint Germain, le 8 août 1570, et la volonté de réconciliation avec les protestants, Montluc est désavoué et la lieutenance de Guyenne lui est enlevée. Il se retire sur ses terres et commence la rédaction de ses Commentaires où il se montre avec ses qualités, ses défauts et une grande vivacité d'esprit. Il y défend son honneur contre les accusations de trahisons, lâcheté et concussion et le dédie au duc d'Anjou qui, en sa qualité de lieutenant du roi, doit protéger les bons capitaines et défendre leur honneur auprès du roi. Mais son projet est plus ambitieux, il veut proposer aux militaires un manuel de conseils tactiques, riche en détails concrets et en conseils pratiques, et se présenter comme un défenseur de la religion et de la royauté en espérant retrouver la faveur royale.

 

Ainsi, Blaise de Montluc construit lui-même sa légende de son vivant et se place à l'égal des grands serviteurs du royaume. Après sa mort, son frère, Jean de Montluc, fera imprimer la première édition des Commentaires à Bordeaux en 1592 par Simon Millanges.

 

En 1573, il retrouve la faveur du duc d'Anjou qui le prend dans son état-major et il assiste au siège de La Rochelle. Lorsque le duc devenu Henri III rentre de Pologne en septembre 1574, Montluc accourt à sa rencontre, à la suite de la reine-mère et de toute la cour. Le roi lui remet le bâton de maréchal de France en récompense de ses longs et fidèles services. Ses armes couronnées, entourées du collier de l'Ordre de Saint-Michel, sont désormais posées sur deux bâtons de maréchal en sautoir.

 

Ce portrait sera copié au XIXe siècle. En effet, lorsque Louis-Philippe se fait attribuer le château de Versailles sur sa liste civile, il décide de le transformer en musée dédié à toutes les gloires de France. Il rassemble près de cinq mille cinq cents œuvres, peintures et sculptures, qui sont soit des oeuvres appartenant déjà aux collections nationales, soit des commandes qui peuvent reproduire ou non des œuvres existantes. C'est ainsi qu'en 1834 Henry Scheffer (1798-1862) reprendra l’œuvre de Philippe de Champaigne et que Blaise de Montluc prendra place au musée historique de Versailles parmi les grands hommes qui ont fidèlement servi le royaume.

 

Toutes les photos sont © Mairie de Bordeaux, Lysiane Gauthier

 

C.B.

 

Bibliographie

 

Monluc Blaise de, Commentaires de Messire Blaise de Monluc, Mareschal de France. A Bourdeaus. Par S. Millanges Imprimeur ordinaire du Roy. MDXCII. In-fol.

 

Citations extraites de :

 

Ruble Alphonse de, Commentaires et lettres de Blaise de Monluc, maréchal de France : édition revue sur les manuscrits et publiée avec les variantes pour la Société de l'Histoire de France par M. Alphonse de Ruble, A Paris chez Mme Vve Jules Renouard, 1864-1872, in-8°, 5 vol.

 

Vulson de la Colombière Marc de, Les Portraits des hommes illustres françois qui sont peints dans la galerie du Palais Cardinal de Richelieu, avec leurs principales actions, armes, devises et éloges latins, desseignez et gravez par les sieurs Heince et Bignon. Ensemble les abrégez historiques de leurs vies, composez par M. de Vulson, sieur de La Colombière. Paris, chez Henri Sara, 1650, in-fol 27 pièces.