Antoine Gonzalès (1741-1801), Château Chêne-Vert à Mérignac, 1783.

 

Encre et gouache sur papier. H. 45 cm, L. 62 cm.
Inscription : signature et date, en bas à gauche : Gonzales pinxit, 1783.
Don des Amis du musée d'Aquitaine en 2005.

 

Inv. 2005.1.1

 

© Mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier
© Mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier

Antoine Euzèbe Gonzalès est né en Espagne, à Poligna ( ?), mais ses parents s’installent à Bordeaux juste après sa naissance. A l’âge de 14 ans, il entre dans l’atelier du peintre décorateur Giovanni-Antonio Berinzago (1707-1787) attiré à Bordeaux par le maréchal de Richelieu en 1756. Ils travaillent ensemble jusqu’au départ de l’artiste milanais vers 1786 et ornent de jeux de perspective et de décors en trompe-l'œil, la chapelle et l’escalier d’honneur du palais de la Bourse (décors disparus en 1817), la salle à manger du palais Rohan, la voûte de l’église Saint-Bruno et réalisent des décors de théâtre. Sur présentation de son maître, il est agréé à l’Académie des Arts de Bordeaux en 1784 comme peintre de genre et définitivement reçu en 1785. A partir de 1786, il lui succède à la chaire de professeur adjoint pour la géométrie et la perspective et comme décorateur ordinaire du Grand Théâtre. S’il est habile "perspecteur", il est aussi passionné par l’architecture gothique, peint des ruines romaines et des paysages avec une prédilection pour la gouache sur vélin.

 

Prenant quelques libertés avec la réalité, Gonzalès représente la demeure de l'armateur et négociant bordelais Raymond Viard qui avait acheté en 1777 l'ancien bourdieu de Chêne-Vert, élevé au rang de maison noble en 1749, et en avait confié la reconstruction à l'architecte Etienne Laclotte (1728-1812). Il y vécut jusqu’en 1790. Dans cette période de prospérité économique, soucieuse de marquer son appartenance à une élite sociale, la grande bourgeoisie investit dans la terre et crée de vastes domaines viticoles à Mérignac.

 

De plan rectangulaire, à deux niveaux et couverte d'ardoises, la demeure présente une façade à cinq travées de baies rectangulaires, une corniche à denticules et des chaines à refends. Au centre, l'avant-corps, précédé d'un large degré, porte un balcon sur consoles avec un garde-corps de ferronnerie. Gonzalès le montre couronné d'un fronton triangulaire dont le cartouche se détache sur un cuir découpé alors que dans la réalité cet avant-corps est en arc de cercle et couvert d’un fronton cintré et ondé. Plus soucieux d’effet esthétique que de vérité architecturale, le peintre n’hésite pas, pour créer un effet de profondeur, à placer devant la façade sur jardin, la haie de buis qui se trouve à l’élévation principale.

 

Deux autres dessins (coll. part.) d’Antoine Gonzalès, traités de la même manière, représentent Chêne-Vert. L’un montre la façade sud ouvrant sur des parterres ; l’autre montre la façade nord avec des variantes (fenêtre centrale de l’étage carrée et non cintrée, sphinges implantés de face et non pas, comme ici, latéralement cf. Maisons de Campagne en Bordelais, Cercam et Arts & Arts éd., 1994). Charles Marionneau, dans son ouvrage sur les salons bordelais au XVIIIe siècle, énumère les trente-six gouaches ou aquarelles présentées par Gonzalès au Salon de 1787, sous treize numéros dont au n° 29 : Deux perspectives d’une Maison près de la Tour de Veyrines, à M. Viard négociant.

 

© Détails, Catherine Bonte
© Détails, Catherine Bonte

Le critique du Salon de 1787 reprochait à Gonzalès "d'avoir absolument négligé de dessiner la figure, et de ne pas  faire les plus grands efforts, dès qu'il est jeune encore, pour acquérir ce qui lui manque à cet égard… Les  figures qu'on y voit, sont d'abord reconnues pour I‘ouvrage d'un autre pinceau, et leur mérite peut diminuer, à certains yeux, celui de M. Gonzalès… De plus, ne pouvant disposer à son gré de cet ornement intéressant, et qui seul donne la vie et le mouvement à un tableau, les siens s'en trouvent dépourvus. Mais ces défauts sont bien rachetés par les talents supérieurs qui éclatent dans  les nombreux ouvrages de cet Artiste ; vous y trouverez tout, connaissance parfaite des règles de la  perspective, vérité de situations, vérité de détails, illusions frappantes, délicieuses ; étude approfondie, et toujours heureuse du genre, et respect inviolable  de toutes ses convenances ; le talent, infiniment rare,  de composer tous ses tableaux de tête, et de ne devoir leurs plus grandes beautés qu'a sa riche imagination : au surplus, M. Gonzales rend aussi bien les mines  romaines que les gothiques, et à I‘huile comme à la gouache. Enfin, tous ses tableaux sont embellis de paysages brillants de fraîcheur et d'expression."

 

Cette remarque semble ici tout à fait injustifiée. Les petits personnages, dessinés d’un pinceau vif et léger, animent le paysage. Sur le seuil, la maîtresse de maison, deux petits enfants accrochés à ses jupes, semble inviter de la main les deux promeneurs qui devisent dans le parc ombragé. La jeune fille assise sur les marches, le garçon qui joue avec son chien dans l'herbe, les chasseurs qui s'approchent d'un pas vif de la haie d'entrée gardé par les sphinges, renforcent encore le caractère intime et détendu de cette scène de la vie familiale.

 

© Détails, Catherine Bonte
© Détails, Catherine Bonte

C. B.

 

Bibliographie

 

Butel Paul, Les négociants bordelais, l’Europe et les Iles au XVIIIe siècle, Paris, ed. Aubier-Montaigne, 1974 (p. 363).

 

Coustet Robert, "A propos d'Antoine Gonzalès : une toile inconnue" in Revue archéologique de Bordeaux, tome XCV, 2004 (p. 217-224).

 

Coustet Robert, Collection particulière, Bordeaux, ed. Le Festin, avril 2009 (p. 29).

 

Coutura Johel, Les francs-maçons de Bordeaux au XVIIIe siècle, Marcillac, éd. du Glorit, 1988 (p. 202).

 

Ferret Edouard, Artistes aquitains, 1889.

 

Frégnac Claude, Aquitaine des Châteaux, Hachette, 1977 (p. 8).

 

Hutin-Hory Séverine, "Vie et œuvres d’Antoine Gonzalès" in Revue archéologique de Bordeaux, tome LXXXVIII, 1997 (p. 139-148).

 

Marionneau Charles, Les Salons bordelais. Expositions des Beaux Arts à Bordeaux au XVIIIe siècle (1771-1787) avec des notes biographiques sur les artistes qui figurèrent à ces expositions, Bordeaux,Vve Moquet, 1884.

 

Maisons de campagne en Bordelais, CERCAM, Arts & Arts édit., Bordeaux, 1994 (p. 56, fig. V).

 

Le port des Lumières, vol. 2, Architecture et art urbain, Bordeaux 1780-1815,  Musée des Beaux-Arts & William Blake, Bordeaux, 1982 (p. 66).

 

Pariset François Georges, Bordeaux au XVIIIe siècle, Histoire de Bordeaux (direction Ch. Higounet), tome V, Bordeaux, 1968 (p. 659-660).

Sargos Jacques, Bordeaux vu par les peintres, Horizon chimérique, 2006 (p. 206-207).