Maquette de la tour de l'église Saint-Michel, Bordeaux, Vers 1850-1853.

 

Bois, carton. H. 86 cm, L. 25 cm. Provenance : acheté en 2007 à L'Horizon Chimérique, Bordeaux. Don des Amis du musée d'Aquitaine en 2007.

 

Inv. 2007.4.1

 

© Mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier
© Mairie de Bordeaux - Lysiane Gauthier

Cette maquette, qui aurait été retrouvée dans le bras sud du transept de Saint-Michel, a été construite par un ouvrier au début de la seconde moitié du XIXe siècle. Elle témoigne d'un état transitoire du clocher, édifié dans le dernier tiers du XVe siècle, à proximité de la façade occidentale de l'église gothique dédiée à Saint-Michel qui fut l'objet d'une dévotion particulière du roi Louis XI et le protecteur du royaume jusqu'au vœu de Louis XIII consacrant la France à la Vierge Marie. La construction de l'église, commencée en 1350 ne s'achèvera qu'au milieu du XVIe siècle mais le patronage royal accordé par le monarque après sa visite à Bordeaux en 1462 a probablement eut un impact sur les travaux qui sont confiés au maître d’œuvre saintongeais Jean Lebas puis à son fils. La construction du clocher sur le charnier, dit  carney de Sent Miqueu, et au-dessus du caveau de la chapelle romane dont il prend la place, débute en 1472 ; la tour est achevée en 1486 et la flèche en 1492.

 

Sur un plan octogonal avec une base percée de grandes arcades, la tour a trois étages à claires-voies gothiques et reçoit le tambour portant la flèche polygonale. Les contreforts d'angle s'unissent aux pinacles légers pour donner une belle impulsion ascensionnelle.

 

Très rapidement la flèche est fragilisée par les tempêtes puis par un tremblement de terre, en 1660, avant d'être en partie détruite par l'ouragan de 1768 qui nécessita sa démolition.

 

© Catherine Bonte

Un télégraphe est installé en 1822 au-dessus du clocher et fonctionnera jusqu'en 1851. Ce système de télégraphe optique inventé par Claude Chappe (1763-1805) et expérimenté en 1791, permet de transmettre un message codé par un système de bras articulés reliés par des cordages. C'est le premier système immatériel de transmission de l'information : l'observateur lit avec une lunette à longue portée le message transmis depuis la station précédente située à une dizaine de kilomètres et le dicte au manipulateur qui reproduit les signaux qui seront lus par la station suivante. L'opération se reproduit ainsi jusqu'à la station terminale dont le directeur est le seul à posséder le code et à pouvoir reconstituer le message. La station est constituée d'une salle, située sous le système de transmission aérien et servant à la manipulation des bras ainsi qu'une pièce de repos pour les télégraphistes.

 

 Lors d'un voyage entrepris en 1843 vers les Pyrénées,  Victor Hugo a fait le récit de ses visites sous forme de lettres fictives à un ami, objet d'une édition posthume. Il y raconte longuement sa visite de l'église Saint-Michel et de son charnier.

 

"Je regardais le campanile qui est à côté de l'église et que surmonte un télégraphe. C'était jadis une superbe flèche de trois cents pieds de haut. C'est maintenant une tour de l'aspect le plus étrange et le plus original. Pour qui ignore que la foudre a frappé cette flèche en 1768 et l'a fait crouler dans un incendie qui a dévoré en même temps la charpente de l'église, il y a tout un problème dans cette énorme tour, qui semble à la fois militaire et ecclésiastique, rude comme un donjon et ornée comme un clocher. Il n'y a plus d'abat-vent aux baies supérieures. Plus de cloches, ni de carillons, ni de timbres, ni de marteaux, ni d'horloge. La tour, quoique couronnée encore d'un bloc à huit pans et à huit pignons, est fruste et tronquée à son sommet. On sent qu'elle est décapitée et morte. Le vent et le jour passent à travers ses longues ogives sans fenestrages et sans meneaux comme à travers de grands ossements. Ce n'est plus un clocher ; c'est le squelette d'un clocher.........

 

Tout à coup, je ne sais comment il me revint à l'esprit qu'en ce moment-là même, au haut de cette tour de Saint-Michel à deux cents pieds sur ma tête au dessus de ces spectres qui échangent dans la nuit je ne sais quelles communications mystérieuses, un télégraphe, pauvre machine de bois menée par une ficelle, s'agitait dans la nuée et jetait l'une après l'autre à travers l'espace dans la langue mystérieuse qu'il a lui aussi, toutes ces choses imperceptibles qui demain seront le journal. Jamais je n'ai mieux senti que dans ce moment-là la vanité de tout ce qui nous passionne. Quel poème que cette tour de Saint- Michel ! Quel contraste et quel enseignement ! Sur son faîte, dans la lumière et dans le soleil, au milieu de l'azur du ciel, aux yeux de la foule affairée qui fourmille dans les rues, un télégraphe qui gesticule et se démène comme Pasquin sur son tréteau, dit et détaille minutieusement toutes les pauvretés de l'histoire du jour et de la politique du quart d'heure" (En voyage, Alpes et Pyrénées, le 27 juillet 1843, publié en 1890).

 

Le cardinal Donnet reprend le projet de reconstruction de la flèche en 1853 et le confie à Paul Abadie. Les travaux de restauration de la tour et de reconstruction commencent en 1861. Si la réouverture des arcades de la base permet de retrouver l’aspect originel, certaines modifications comme l'ajout des statues de prélats sur les contreforts s'en éloignent. Inauguré le 9 mai 1869, le clocher qui a retrouvé l’orgueilleuse élévation de sa flèche, s'affirme à nouveau dans le paysage monumental de la ville.

La maquette dont les bras du télégraphe ont malheureusement disparu, représente l'état du clocher tel que les bordelais ont pu le voir pendant les années 1822-1851, avant les travaux de la seconde moitié du XIXe siècle.

           © Catherine Bonte