Portrait présumé d'Isaac Louverture

 

Ecole Française du XIXe Siècle - avant 1863

 

Huile Sur Papier

45 x 35 cm.

 

 

L’œuvre est montée d’origine sur un carton ancien avec une étiquette du doreur-miroitier Alexis Vitry, 16 rue de la Madeleine à Paris. Cette rue est rebaptisée rue Pasquier en 1863.

Portrait présumé d’Isaac Louverture qui vécut durant 38 ans à Bordeaux avant d’y mourir en 1854.

 

Isaac Louverture est le fils de Toussaint Louverture qui lutta pour la liberté et l’indépendance d’Haïti. Ce tableau unique vient compléter les rares portraits réalistes de la famille Louverture. Son identification a été assurée par le professeur Jacques de Cauna, docteur d’Etat et professeur émérite de l’Université de Pau et professeur honoraire des universités d’Haïti.

 

L'identification s’est appuyée sur les ressemblances physiques du sujet entre cette œuvre et celles non seulement déjà connues mais aussi jugées réalistes. Après élimination du corpus des portraits fantaisistes issues de l’imagination d’artistes qui n’ont jamais vu leur modèle, Jacques de Cauna a retenu deux portraits crédibles d’époque « ayant transité par l’ancien Musée National d’Haïti, aujourd’hui Musée du Panthéon National Haïtien, en provenance du fonds Gragnon-Lacoste, consul d’Haïti à Bordeaux et exécuteur testamentaire d’Isaac.

 

L’un est un tableau en buste d’Isaac dans sa maturité, encore relativement jeune, dont on ne connait plus aujourd’hui que des photographies, en noir et blanc difficilement exploitables par leur mauvaise qualité, reproduites dans un ouvrage du général Nemours en 1941 et sur lesquelles il est difficile de travailler correctement.

        

 

L’autre représentation plus modeste et originale, est apparemment plutôt à usage domestique. C’est l’un de ces portraits en médaillon de couleur, miniatures d’origine familiale nous est-il dit, issus du même fonds ancien. » Il ressort de cette étude des similitudes physiques flagrantes selon Jacques de Cauna. Ainsi du premier portrait on retrouve « le même allongement triangulaire du menton et le front haut prématurément dégarni pendant que la chevelure s’épaissit sur les côtés, le long nez droit sans épatement, les mêmes lèvres, yeux et sourcils. Seul détail manquant : la boucle d’oreille ». Le second portrait en médaillon présente également « les mêmes grands yeux noirs en amande au regard perçant, les mêmes sourcils épais bien dessinés, à peine un peu plus broussailleux avec l’âge, le même ovale du visage s’affinant en un triangle très net vers le menton, les mêmes lèvres épaisses bien dessinées, la même boucle d’oreille, simple créole d’or déduit à un court anneau, à l’oreille droite, la même implantation capillaire touffue gonflant sur les côtés et dégarnissant le front avec l’âge à l’image du père dans le portrait de Baquoy. » Ce descriptif permet d’arguer une vraie ressemblance entre les portraits qui ne peut être niée. A ces arguments physiques rajoutons que la contextualisation de l’œuvre laisse en parallèle un très faible choix de personnalités pouvant être ici représentées. En effet, le personnage peint ne correspond à aucun des dignitaires d’Haïti qui sont venus en France, ni au rares politiciens afro-descendants de l’époque comme Cyrille Bissette ou Louisy Mathieu.

 

 

DATATION

 

L’âge apparent d’Isaac Louverture estimé entre 50 et 60 ans permet de dater l’œuvre entre 1840 et 1850. L’étiquette d’un l’encadreur parisien située au dos permet de dater cette œuvre avant 1863 comme le suggère la mention du nom de la rue de la Madeleine, rebaptisée à cette date rue Pasquier.    

 

ATTRIBUTION

 

Il est encore difficile d’attribuer un auteur à cette œuvre qui est non signée.

Néanmoins pour Jacques de Cauna la piste d’Oscar Gué est potentiellement envisageable parmi les quelques rares noms possibles à Bordeaux. Ce dernier qui fut peintre d’histoire et conservateur du musée de Bordeaux est également le fils d’un Dominguois de naissance. Ces liens insulaires ont pu dès lors particulièrement pousser Oscar Gué à s’intéresser au fils de Toussaint Louverture présent à Bordeaux. Ce n’est à ce jour qu’une hypothèse fragile.

La piste d’un peintre parisien n’est pas à exclure au regard de l’étiquette de l’encadreur située à l’arrière de l’œuvre d’autant plus que l’ouverture de la liaison ferroviaire Bordeaux-Orléans-Paris en 1853 facilite les trajets, quoique tardivement pour Isaac Louverture qui décède en 1854. Aucune trace à Paris d’Isaac Louverture à l’âge adulte n’est en revanche attestée à ce jour.

 

 

STYLE ARTISTIQUE

 

La prestance d’Isaac Louverture dans ce portrait répond à l’image qu’il se faisait politiquement de lui-même en tant qu’héritier de son père jusqu’en apporter querelle à son frère Placide. Comme le souligne Jacques de Cauna, « royaliste dans l’âme comme son père et frère, il se considérait comme l’héritier naturel de la première noblesse haïtienne, avant celle instaurée par le roi Christophe ou l’empereur Soulouque, une noblesse créée par la valeur militaire personnifiée de son père. On peut penser que cette noble ambition et la forte conscience de sa position dans l’histoire transparaissent dans la prestance du personnage représenté sur le tableau. » Comme le décrit Jacques Sargos, cette œuvre « est le signe d’un portrait peint sur le vif avec spontanéité, moins solennel et moins apprêté qu’une effigie sur toile mûrement travaillée en atelier. On en a la confirmation dans la vivacité et la puissance expressive de l’œuvre, exécutée d’un pinceau sûr et rapide. »

 

 

STYLE ARTISTIQUE

 

La prestance d’Isaac Louverture dans ce portrait répond à l’image qu’il se faisait politiquement de lui-même en tant qu’héritier de son père jusqu’en apporter querelle à son frère Placide. Comme le souligne Jacques de Cauna, « royaliste dans l’âme comme son père et frère, il se considérait comme l’héritier naturel de la première noblesse haïtienne, avant celle instaurée par le roi Christophe ou l’empereur Soulouque, une noblesse créée par la valeur militaire personnifiée de son père. On peut penser que cette noble ambition et la forte conscience de sa position dans l’histoire transparaissent dans la prestance du personnage représenté sur le tableau. » Comme le décrit Jacques Sargos, cette œuvre « est le signe d’un portrait peint sur le vif avec spontanéité, moins solennel et moins apprêté qu’une effigie sur toile mûrement travaillée en atelier. On en a la confirmation dans la vivacité et la puissance expressive de l’œuvre, exécutée d’un pinceau sûr et rapide. »

 

 ENJEU HISTORIQUE

 

Né en 1784, Isaac Louverture est le fils légitime de Toussaint Louverture et de Suzanne Simon Baptiste. Son frère ainé, Placide, est né d’une précédente union de sa mère et a été adopté par Toussaint Louverture. La fratrie s’agrandie en 1791 par la naissance de Saint-Jean. 

La famille profite d’un certain confort grâce à la plantation de café que possède Toussaint Louverture depuis son affranchissement avec à son service une dizaine d’esclaves.

 

L’ascension politique de Toussaint Louverture à Saint-Domingue lui permet d’envoyer ses fils en métropole afin de parfaire leur éducation avec d’autres libres de couleur. Comme le souligne Julie Duprat, « le Directoire vient en effet de soutenir la création de l’Institution Nationale des Colonies, situé rue de la Montagne Sainte-Geneviève dans l’ancien Collège de la Marche. Cette école a pour objectif de former les futures élites coloniales, acquises aux principes de la nouvelle République et seuls quelques élèves, parmi les plus éminentes familles de couleur de Saint-Domingue, sont retenus. A dix ans, Isaac et Placide découvrent donc Paris. »  

Entre temps, les relations entre la France et Saint-Domingue, Toussaint-Louverture et Bonaparte,  n’ont cessé de se dégrader. En décembre 1801, le corps expéditionnaire, dirigé par le général Leclerc, est envoyé afin de mettre un terme à l’émancipation de l’île. Isaac et Placide sont chargés d’apporter à leur père une lettre annonçant la venue de cette expédition. Cet épisode célèbre est abondamment illustré y compris dans les salles du musée d’Aquitaine.

Après plusieurs mois de combats, Toussaint Louverture est contraint de capituler. Il est alors déporté en France. La famille est séparée. Suzanne Baptiste, Isaac et Saint-Jean rejoignent Bayonne tandis que Toussaint Louverture et Placide sont débarqués à Brest.

Toussaint Louverture meurt en détention en avril 1803. Saint Jean Louverture meurt à son tour en Aout 1804 à l’âge de 14 ans. Durant cette période Isaac et sa mère sont placés en étroite résidence surveillée à Agen, rejoint par Placide après sa libération.  La survie de la famille dépend en grande partie de la mise en place d’un réseau de solidarité que met en place Isaac.

 

La famille reste à Agen durant 13 ans avant de s’installer à Bordeaux à la fin de l’année 1816. Isaac s’installe au 44 rue Fondaudège avec son épouse Louise Chancy Louverture. Il touche alors d’après le général Nemours « une pension considérable de 5000 francs » accordé par Louis XVIII, son père ayant été un adversaire de Napoléon.

 Isaac se fait connaître à Bordeaux pour sa générosité et son action en direction des pauvres comme le relate le général Nemours : « ses revenus ne suffisaient pas à ses nombreuses aumônes ; sa maison était la maison des pauvres, et la misère, qui en connaissait le chemin, frappait sans cesse à la porte du noir bienfaisant. »

Dans une lettre du maire de la ville au Préfet en date du 5 avril 1824 concernant les troubles de la Martinique, Isaac Louverture est qualifié de « Monsieur Toussaint Louverture, fils du Général à Bordeaux depuis vingt ans avec sa famille et deux de ses neveux adultes. » Il réside à Bordeaux durant 38 ans.

Il décède le 27 septembre 1854 à l’âge de 70 ans, rue Neuve de l’Intendance, aujourd’hui rue Guillaume Brochon. Ses funérailles, modestes et intimes, sont célébrées en l’église Notre-Dame de Bordeaux avant son inhumation au cimetière de la Chartreuse.

 

 

 

 

Ce portrait d’Isaac Louverture s’attache à rendre hommage non seulement à Toussaint Louverture dans son espace public mais aussi à Isaac comme en témoigne l’apposition de la plaque commémorative sur son lieu de résidence au 44 rue Fondaudège en 2003.

Sa sépulture est au cimetière de la Chartreuse de Bordeaux et il figure sur la lithographie de Villain intitulée Capture du général Toussaint-Louverture en date de 1822, exposée dans le parcours permanent du musée d’Aquitaine où il figure en compagnie de son père et de son frère Placide.

 

Ce tableau, acquis par les Amis du musée d'Aquitaine, est une représentation rare d’une personne afro-descendante en tenue de notable occidental, dont le physique traduit une dignité tranquille et une autorité naturelle d’autant plus que sévissaient encore à l’époque de sa réalisation l’esclavage et le préjugé de couleur.

 

Christian Block, conservateur au musée d'Aquitaine 

 

Biographie : 

J. de Cauna, «  Du nouveau sur Placide Louverture en Agenais », Revue de l’Agenais, année 2014, Tome CXLI, vol.2, P 229-240

J. de Cauna, Toussaint Louverture. Le Grand précurseur, Bordeaux, Edition Sud-Ouest, 2012

J.de Cauna « Noirs et gens de couleur à Bordeaux et en Aquitaine aux 18e et 19e sicles : statuts, conditions, destinées et postérités » Les Cahiers de l’Estuaire, n°9, 2009, p.47-70

A.A Nemours, Histoire de la famille et de la descendance de Toussaint Louverture, Portau Prince, Haïti, 1941

  

J.de Cauna, « Un nouveau portrait d’Isaac Louverture à Bordeaux », blog en ligne, 2020, jdecauna.over-blog.com