L' Adieu par Gustave Alaux (1887-1965),

 vers 1945,

 

huile sur toile, 50 x 61 cm.

Signé en bas à droite et titré au dos. 

 

 

 

 

 

Photo L. Gautier, ville de Bordeaux 

Le nom de la famille Alaux apparaît souvent dans l’histoire de l’art bordelais. Il s’agit d’une véritable dynastie d’artistes qui prend sa source dans le Tarn, à Lautrec en 1756, avec Pierre-Joseph Alaux, maître tapissier, peintre et dessinateur. Ce dernier quittera Lautrec pour Bordeaux en 1801. 

 

Gustave Alaux (Bordeaux, 1887- Paris, 1967) est le fils de Daniel Alaux (1853-1933) peintre et architecte, qui fut nommé conservateur du musée de Bordeaux. Ses grands-parents paternels sont Jean-Paul Louis Gustave Alaux, (Bordeaux 1816-1882), architecte, et Jenny Gué (1832-1909), fille de Michel Gué né à Saint-Domingue. Jean-Paul Louis Gustave Alaux, petit-fils de Pierre-Joseph-Alaux, est le fils de Jean-Paul Alaux (1788-1858), peintre, directeur de l’école des beaux-arts de Bordeaux, conservateur du musée de Bordeaux.  Plusieurs toiles de cet artiste sont bien connues des Bordelais comme par exemple la Vude Bordeaux prise du côté de Floirac aujourd’hui au musée des Beaux-Arts.

 

Gustave Alaux fait ses études à l’Ecole des beaux-arts de Paris et expose dès 1913 au Salon des artistes français. Il est à la fois peintre, décorateur, graveur, illustrateur. Les sujets maritimes ont toujours été ses sujets de prédilection. Il puise son inspiration généralement dans l’histoire de la marine, la France d’outre-mer, l’histoire coloniale. Il aime aussi « portraiturer » les bateaux et vaisseaux anciens et réalise des œuvres pour la décoration de croiseurs et de paquebots. Il illustre également par ses gravures de nombreux ouvrages. En 1926, il est nommé peintre officiel de la marine et en 1946 membre de l’Académie de marine.

Amoureux de la mer, Gustave Alaux partage ses loisirs entre sa maison à la pointe du Cap Ferret (Bassin d’Arcachon), son voilier dériveur et les voyages officiels sur les navires de l’Etat.

 

Ce petit tableau s’inscrit dans une série que G. Alaux réalise très probablement dans les années 1940, soit quelques années après les célébrations du Tricentenaire du rattachement des Antilles à la France (un tableau proche, passé en vente publique en 2016, est daté 1946). Il s’y attache à représenter la vie dans les colonies antillaises au XVIIIe siècle, à la manière idéalisée d’un Agostino Brunias deux siècles plus tôt, dont Alaux reprend d’ailleurs des sujets récurrents (scènes de marché, fêtes de village…). Dans ces représentations aux couleurs très fraiches et dans un style assez naïf, Gustave Alaux se plaît à peindre une mer bleu azur, une végétation luxuriante, les bateaux dans la rade (ici un trois-mâts dont il soigne les détails), les costumes et les danses locales, ou encore des scènes sentimentales construites autour d’un couple qu’il installe à plusieurs reprises au centre de son paradis exotique : ici, l’homme est européen, blanc, vêtu d’un costume de marin ; la femme est représentée modeste mais libre, elle porte une robe rose simple, à col en dentelle ; à leurs côtés, un second personnage féminin portant une haute bamboche, et un chien, symbole de fidélité.

 

Notre tableau est une scène d’adieux, et pourrait illustrer une célèbre complainte antillaise, « Adieu foulards, adieu madras ». Le musée d’Aquitaine conserve une partition imprimée (2003.4.373) qui attribue cette « vieille chanson guadeloupéenne » au « marquis de Boullié (sic) ». François Claude Amour du Chariol, marquis de Bouillé, fut nommé gouverneur de la Guadeloupe en 1768 et la légende veut qu’il soit tombé follement amoureux d’une jeune femme créole…

 

Ce sujet, traité par un peintre bordelais du XXe siècle, fait écho à quelques rares représentations de relations consenties entre femmes afro-descendantes et hommes blancs. La peinture d’Alaux est à rapprocher notamment de « Petit blanc que j’aime », de Vallou de Villeneuve (vers 1840, tableau exposé dans la section « Bordeaux au XVIIIe siècle, le commerce atlantique et l’esclavage »). Dans un cas comme dans l’autre, la vision idyllique de la relation coloniale n’a bien entendu pas grand-chose à voir avec la réalité de sociétés esclavagistes fondées avant tout sur une violence systémique ; violence qui, pour les femmes déportées ou nées dans les colonies, est d’abord violence sexuelle.

Au milieu du XXe siècle, G. Alaux, comme A. Brunias en son temps, alimente ainsi l’imagerie « doudouiste » des « vieilles colonies », qui sont en passe de devenir départements mais dont l’histoire officielle, depuis l’hexagone, reste encore bien lacunaire. 

Depuis l’entrée à son inventaire du legs Marcel Chatillon au début des années 2000, le musée d’Aquitaine dispose d’un fonds de référence sur l’iconographie des Antilles et plus largement sur l’esclavage atlantique. La traite, le système esclavagiste et la construction historique de la race sont largement évoqués dans son parcours de visite, l’histoire coloniale constituant un axe important de notre politique d’acquisition (récemment encore avec l’entrée dans les collections d’un portrait présumé d’un fils de Toussaint Louverture). Pouvoir témoigner de la permanence de certains sujets et de la manière dont ils sont traités jusqu’à une période très contemporaine s’avère essentiel pour aborder la question des mémoires et des héritages.

 

Bibliographie : 

- https://peintres-officiels-de-la-marine.com/Alaux-gustave/Alaux-gustave.html

- TESNIERE, Jacqueline, « Une famille bordelaise : les Alaux », La Vie de Bordeaux, 6 octobre 1973.

- BÉGOT, Danielle, « Peinture d’histoire et fait colonial aux Antilles françaises », in Façonner le passer : Représentations et cultures de l’histoire XVIe-XXIe siècle (en ligne]. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 2004. https://books.openedition.org/pup/6489